Introduction
La chronologie des événements est une donnée clé de la compréhension de l’évolution d’une planète. La datation des terrains planétaires est fondée sur un concept simple : les planètes du système solaire ont été exposées tout au long de leur histoire au bombardement météoritique. Une surface planétaire ancienne aura été exposée longtemps à ce bombardement et sera très cratérisée, tandis qu’une surface jeune, moins longtemps exposée, sera donc moins cratérisée (Hartmann, 1965). Sur cette base, les surfaces planétaires sont délimitées en grandes unités en fonction de leur densité de cratères et peuvent être classées de la plus vieille à la plus jeune. Le grand enjeu de tout un pan de la recherche en planétologie est d’utiliser ces densités de cratères comme des chronomètres. Pour cela, il faut connaitre ou tout du moins estimer le flux d’impact au cours de l’évolution de système solaire en plus de prendre en compte la complexité de la réponse de la cible à ce flux d’impact (présence ou non d’une atmosphère, composition de la surface, érosion…). Le problème devient alors beaucoup plus complexe tandis que les contraintes restent sporadiques. Aujourd’hui, la Lune est le seul corps planétaire à avoir bénéficié de collecte d’échantillons (missions américaines Apollo et missions soviétiques Luna) et les âges absolus obtenus dans nos laboratoires par radiochronologie ont pu être corrélés à des densités de cratères lunaires. Les sections qui suivent, présentent la chronologie lunaire, ses biais et ses incertitudes ainsi que les essais de transposition à d’autres corps planétaires.
1- Chronologie absolue lunaire
Dès les années soixante, les premières études des densités de cratères des terrains lunaires ont montré que sur une même unité géologique la densité de cratères était différente en fonction des diamètres des cratères étudiés. Il existe en effet une relation d’échelle entre le diamètre des cratères et leur nombre par unité de surface. En faisant l’hypothèse que la cratérisation observée n’a subi aucune modification et reflète bien le flux d’impacteurs, cette loi d’échelle représente la fonction de production des impacteurs (Figure.1; Hartmann et Neukum, 2001).
La fonction de production telle que observée sur la Lune dans un diagramme log/log croisant en abscisse le diamètre des cratères et en ordonnées leur densité par kilomètre carre, a une pente de -2.2 pour les diamètres de cratères supérieurs à 64 km, une pente de -1.8 pour les cratères dont le diamètre est compris entre 1 et 64 km, puis à nouveau une pente forte de -3.82 pour les cratères de diamètre inférieur à 1 km (Hartmann, 1965). Cette forme de la fonction de production serait observée quelque soit l’âge de la surface. Donc l’âge ne dépendrait de la densité de cratères pour un diamètre donné.
Avec les missions Luna et Apollo, de nombreux échantillons lunaires ont pu être analysés et datés par des méthodes de datations isotopiques (Stöffler and Ryder, 2001). Les densités de cratères des sites d’atterrissages ont été soigneusement étudiées. De cette manière, des âges absolus ont pu être corrélés aux densités de cratères pour construire la chronologie absolue lunaire présentée en Figure 2. Les diamètres des cratères observés à l’époque étaient supérieurs à 1 kilomètres de diamètre, c’est donc la densité de cratères supérieurs à 1 km de diamètre par kilomètre carré qui a été corrélée aux âges absolus des échantillons lunaires.
Trois grandes ères peuvent être discutées à partir de cette courbe en terme de contraintes notamment :
1 ) de 4,5 à 3.9 Gy (Figure 2, carré violet)
Cette période de l’histoire du système solaire ne comporte finalement que très peu de témoignages à la surface des planètes. Les unités de la Lune attribuées à ces âges très anciens ont une densité de cratères telle que celle-ci sature. Au delà d’une certaine accumulation de cratères par unités de surface, leur nombre observable stagne, c’est le concept de la saturation. Les mesures de la cratérisation qui ont permis les points entre 3.9 et 4.5 Gy ont typiquement des incertitudes liées à cette saturation de cratères d’impact. Néanmoins, cette chronologie montrerait que la densité de cratères décroît très vite en fonction de l’âge pour les terrains anciens et mettrait en évidence l’intense bombardement météoritique avant 4 Gy (Neukum and Ivanov, 1994). Cette décroissance extrêmement rapide du bombardement primitif avant 4 Gy est difficile à reproduire par les modèles physiques. Les modèles astrophysiques d’évolution du système solaire prédisent plutôt une augmentation de la matière disponible pour la cratérisation vers 3.9 Gy, c’est le concept du bombardement intensif tardif (en anglais, LHB pour Late Heavy Bombardement, Figure 3; Gomes et al., 2005). L’existence de ce bombardement tardif est encore aujourd’hui une hypothèse vivement débattue.
2 ) de 3.9 à 3.5 Gy ( Figure 2, carré rouge)
Cette partie de la courbe est un consensus entre les données et les modèles. Cette partie de la chronologie est particulièrement bien contrainte, la plupart des échantillons Apollo datant de cette période.
3) de 3.5 Gy à aujourd’hui
Après 3.5 Gy, la chronologie lunaire n’est contrainte que par quelques âges absolus (Stöffler and Ryder, 2001) : L’âge attribué au cratère Copernicus et l’âge attribué au cratère Tycho. Ces âges sont très discutés (Stöffler and Ryder, 2001). Le cratère Copernicus est daté à partir des échantillons d’Apollo 12 dont le site d’atterrissage est distant de plus 500 km du cratère. Comme les rays du cratère recouvrent le site d’atterrissage, les âges obtenus sur ces échantillons ont été attribués à cet événement. Quant au cratère Tycho, son âge a été mesuré à partir de l’âge d’exposition d’un glissement de terrain observé sur le site d’Apollo 17 à plus de 2000 km du cratère Tycho. Ce glissement de terrain aurait été déclenché par les éjectas de l’impact distant (Stöffler and Ryder, 2001). La courbe passant par Tycho fait l’hypothèse que le flux d’impact est constant durant les 3 derniers milliard d’années dans le système solaire interne.
2 Le flux d’impact dans le système solaire interne
La chronologie absolue lunaire permet de connaître l’histoire du flux d’impact vers le système Terre-Lune et plus largement vers le système solaire interne. Entre 4.5 et 3.5 Gy, les planètes telluriques aurait connu un bombardement primitif très intense et/ou un bombardement tardif intense. Après 3.5 Gy, le flux d’impacts aurait été constant (Figure 4). Cette constance est cependant à prendre avec précaution car la chronologie absolue lunaire est peu contrainte pour cette période comme nous l’avons vu plus haut. Quelles sont les autres contraintes de ce flux d’impact dans le système solaire interne pour les 3 derniers milliards d’années ?
La terre (Figure 5) n’est pas adéquate pour étudier l’histoire du flux d’impact. Compte tenu de son intense resurfaçage (tectonique des plaques, climat terrestre….), la surface de la terre est très jeune et seuls les derniers 100 My sont représentatifs de l’histoire du flux d’impact. L’enregistrement sur les derniers 100 My indique un flux météoritique constant.
De leur coté, les modèles astrophysiques d’évolution de la ceinture d’astéroïdes (principale source des impacts) par collision prédisent une décroissance du flux d’impact d’un facteur 2 à 3 sur les derniers 3 Gy (Figure 4) (Durda et al., 1998 ; Davis et al., 2002).
Compte tenu de ces divergences, la constance du flux d’impact après 3.5 Gy déduite des données lunaires est estimée juste à un facteur 3 près (Bottke et al., 2005).
3-Chronologie martienne
La chronologie martienne a commencé par l’étude de la densité de cratères des différentes unités géologiques (Tanaka 1986). La fonction de production d’une surface martienne a la même forme que le fonction lunaire ce qui n’est pas une surprise si la source des météorites est la même pour le système solaire interne (Hartmann and Neukum, 2001).
Les grandes périodes de l’histoire de Mars ont été établies à partir de la chronologie relative des terrains: Le Noachien (plus de 200 cratères de 5 kilomètres de diamètre par millions de kilomètres carrés), l’Hespérien (entre 67 et 200) et l’Amazonien (moins de 67) (Tanaka, 1986).
La chronologie absolue martienne a été construite par extrapolation de la chronologie lunaire. L’extrapolation tient compte de la différence de gravité entre Mars et la Lune, la différence entre l’atmosphère martienne et lunaire et de la proximité de Mars avec la ceinture d’astéroïdes. Un des points cruciaux du passage entre la Lune et Mars est l’estimation d’un ratio appelé Rbolide qui représente le rapport entre le nombre de projectiles d’une certaine taille qui entrent dans l’atmosphère martienne par rapport au nombre de projectiles qui arrivent sur la Lune (Ivanov, 2001).
La chronologie martienne absolue ainsi établie a permis de donner un âge aux limites des grandes périodes de l’histoire martienne (Fig.4.5). Le Noachian se termine vers 3.7 Gy ; l’Hespérien dure jusqu’à 3 Gy et l’Amazonien de 3 Gy à maintenant (Figure 6). La figure 6b présente les isochrones martiennes dans un diagramme incrémental (Hartmann, 2005). Une isochrone est la fonction de production d’une surface d’un âge donné.
Compte tenu des erreurs sur la chronologie lunaire et des incertitudes sur les paramètres de l’extrapolation de la chronologie lunaire à Mars, les âges absolus martiens sont justes à un facteur 3 à 4 près (Hartmann and Neukum, 2001; Hartmann, 2005). Malgré cette barre d’erreur, un âge jeune (ex 100 My) restera jeune à l’échelle de l’histoire martienne tout comme les âges très anciens resteront anciens. Par contre, cette barre d’erreur est plus délicate pour le milieu de l’histoire martienne.
4- Exemples de cratérisation sur Mars
La forme de la fonction de production (dans la figure ci-dessus représentée par les isochrones) est déterminée pour une surface n’ayant subit que le bombardement météoritique. Lorsque des processus de resurfacage affectent une surface cratérisée, la forme de la distribution des cratères change. La Figure 7 illustre trois cas de figures souvent observés sur Mars :
- Figure 7A : la distribution observée a la même pente que la fonction de production. Un âge peut être proposé, ici 100 millions d’années.
- Figure 7B : la distribution observée a une pente plus faible que la fonction de production. La surface a subi un processus de resurfacage progressif. Les petits cratères sont affectés en premier (plus vite ensevelis ou plus vite érodés), d’où la pente plus faible. L’activité éolienne par érosion ou ensevelissement peut expliquer ce type de distribution. En aucun cas ce type de distribution n’est utilisée pour proposer un âge.
- Figure 7C : la distribution montre 2 branches : pour les plus gros diamètres de cratères, la distribution suit la même pente que la fonction de production tandis que pour les plus petits diamètres de cratères, la distribution suit une pente plus faible. La transition entre les deux pentes est observée à 150 mètres de diamètre. Nous sommes dans le cas où un processus de resurfacage a été actif mais dont l’amplitude n a pas permis la modification de l’enregistrement des cratères d’impact de plus de 150 mètres de diamètre. La partie de la distribution suivant la pente de la fonction de production permet de proposer un âge, ici 500 millions d’années. En utilisant les relations d’échelle entre diamètre et profondeur d’un cratère, nous pouvons nous servir de ce type de distribution pour quantifier les taux d’érosion subit par les surfaces planétaires.
5- Extrapolation de la méthode au diamètre < 100m
Depuis quelques années maintenant, tout d’abord sur Mars et maintenant sur la Lune, nous avons accès à des données d’imagerie de plus en plus précises permettant d’observer la surface à 25-50 cm de résolution spatiale. Nous pouvons maintenant accéder sur la Lune et Mars à la densité de cratère aussi petits que 4 m de diamètre. Une des pans de la recherche dans ce domaine est de tester la fiabilité de la chronologie pour les cratères de diamètres inférieurs à 1 km (diamètre minimum qui a servi de calibration à la chronologie lunaire).
Plusieurs inconnues restent à déterminer pour comprendre les densités de ces petits cratères :
- le flux d’impacteur. Est-il le même que pour les plus gros diamètres d’impacteur ?
- les effets des atmosphères. Sur Mars par exemple, l’atmosphère modifie la fonction de production des petits cratères (Popova et al., 2003) . A partir d’un diamètre qui reste à définir, les impacteurs sont fracturés dans l’atmosphère et laissent au sol non plus un cratère mais un amas de cratères. La plupart des impacts de 4 mètres de diamètre sur Mars sont des amas de cratères montrant l’action de l’atmosphère dans ces taille de cratères (Figure 8).
- la proportion de cratères secondaires. Les cratères secondaires sont les impacts issus des éjectas d’un plus grand cratère. La part de ses cratères secondaires sur la distribution observée est très débattue (Ex : McEwen et al., 2005 ; Hartmann, 2005). La principale question est de savoir si les densités de cratères (et à fortiori celles de petits diamètres de cratères) sont dominées par des cratères primaires ou par des cratères secondaires (McEwen et al., 2005). Il est pourtant indispensable de dissocier les cratères secondaires, des primaires pour remonter au flux d’impacts.
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